L’ARTISTE SPECTATEUR

Le conservatoire de musique et de danse de Grand Couronne et Petit Couronne est un établissement d’enseignement artistique dont la mission couvre deux domaines d’égale importance : l’enseignement d’une pratique et la diffusion d’une culture.
Préoccupés avant tout par le premier aspect, nous devons nous donner les moyens de répondre avec la même conviction aux problèmes que pose le second. Il y était déjà fait allusion dans les dernières lignes d’un précédent projet pédagogique (Faire de la musique ensemble, 2001) dont la conclusion rappelait que notre établissement « est également le lieu d’éducation des futurs mélomanes ou spectateurs. »

I – Le constat

Les élèves ne vont pas au spectacle. Certes, des nuances peuvent être apportées mais il nous faut bien reconnaître que, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes sur scène, les élèves assistent très peu aux spectacles, dont certains sont pourtant programmés à leur intention et alors que l’offre dans la région est très riche : nombreuses salles de spectacles, opéra de Rouen, festivals de réputation nationale.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées : le manque de disponibilité des parents pour accompagner les enfants les plus jeunes, le manque d’intérêt des adolescents pour des styles différents de ce qu’ils écoutent au quotidien – bien qu’ils les jouent avec leur instrument -, l’impression de ne pas faire partie du « public averti » ; ou, plus généralement, le sentiment infondé qu’assister à un concert relève d’une attitude passive, au contraire de la pratique instrumentale considérée comme une activité à part entière.
À ce manque d’intérêt pour le spectacle vivant vient s’ajouter le constat d’une méconnaissance des répertoires et des interprètes, à commencer par ceux de leur instrument. Ce constat motive l’ensemble de l’équipe pédagogique à rechercher les moyens d’inverser cette tendance.

Le spectacle, un moyen de formation

Certains éléments de l’expression artistique ne peuvent se transmettre sous la forme d’un discours académique ou de préceptes théoriques, car ils perdraient de leur force émotionnelle. La notation musicale, pour précise qu’elle soit devenue au fil du temps, ne pourra jamais transmettre la qualité d’un phrasé, ou les variations d’interprétation selon les styles et les époques. La qualité expressive du mouvement dansé n’apparaît pas dans les notations de ballets, qui sont au demeurant d’un usage très limité. C’est pourquoi la formation de l’artiste interprète ne peut s’imaginer sans une présence régulière au concert ou au spectacle. Il serait toutefois ennuyeux de réduire le spectacle à sa dimension didactique, et il va de soi que la raison première se s’y rendre est le plaisir qu’on y éprouvera. Ce plaisir naît souvent de la perception de l’engagement physique – et parfois la prouesse – des artistes ; pour la musique, l’observation des interprètes facilite l’appréhension d’une oeuvre, la compréhension de son déroulement, de sa forme, et de certains aspects difficiles à percevoir à la première audition pour une oreille non avertie.

II – Les objectifs

L’élève spectateur

Écouter, regarder, ça s’apprend aussi ! Il nous faut développer chez nos élèves une véritable culture de l’écoute et du regard, leur permettant d’appréhender la démarche artistique dans toutes ses dimensions.
Nous devons donc les amener à une plus grande réceptivité, les encourager à découvrir d’autres univers, des pratiques, des styles différents ; et nous savons que bien souvent ce que les élèves imaginent de la musique ou de la danse à leur inscription au conservatoire est très limité par rapport à l’étendue et à la diversité des expressions musicales et chorégraphiques. Il est donc bien question d’une attitude active : assis dans la salle, quand il ne tape pas dans ses mains (sans oublier les applaudissements), le spectateur n’en est pas moins actif mentalement.
Habitué aux enregistrements parfaits du CD ou du DVD, l’élève doit apprendre à apprécier le spectacle vivant avec sa part d’inattendu, d’aléatoire, voire d’erreur. Il doit savoir qu’aller au spectacle peut également se traduire par une déception : lorsqu’on choisit un spectacle, on peut se tromper sur la qualité ou le contenu attendu, ou bien n’être pas suffisamment réceptif ce jour-là : il n’y a pas de certitude de résultat… Heureusement, le spectacle vivant est le plus souvent source de plaisir et d’émotions fortes ! Le public, souvent constitué d’autres élèves et leurs parents, doit veiller à respecter quelques règles élémentaires de courtoisie : venir au concert, arriver au début, rester jusqu’à la fin, écouter dans le silence et respecter les prestations des autres élèves.
Il arrive que des professeurs emmènent leurs élèves à un concert ou une audition sur le temps de leur cours : dans cette opportunité, il faut prévoir que si le concert dépasse la durée habituelle du cours, on ne part pas pour autant avant la fin.

L’élève artiste

Lorsque l’élève se produit en public, il présente le fruit d’un long apprentissage technique, théorique, pratique et émotionnel : il doit être respecté. Pour susciter ce respect, l’attitude de l’élève sur scène doit faire l’objet de la même attention que la préparation de sa prestation. Se vêtir d’une tenue appropriée, disposer de tout son matériel et ses partitions, faire preuve de concentration et donner le meilleur de soi-même !

Se rencontrer et partager la musique

Le Conservatoire est un lieu de rencontre. Les Moments musicaux sont une occasion pour des élèves d’âges et de niveaux différents, jouant des instruments et des répertoires différents, de se rencontrer. Elles sont aussi un lieu de présentation publique de la diversité des disciplines pratiquées au Conservatoire. Les concerts et les spectacles sont d’autres moments privilégiés de rencontres : chaque année, plusieurs projets d’envergure permettent de réunir les élèves de plusieurs disciplines.

III – Les moyens

Le conservatoire a une longue tradition de spectacles pédagogiques ou professionnels. Chaque année, la saison est préparée avec soin en recherchant la qualité et la diversité. L’organisation de sorties pour les élèves (concerts, spectacles de danse) est également une pratique courante. Il s’agit toutefois de valoriser ces habitudes en leur donnant une plus grande place dans le discours pédagogique et institutionnel, et en accompagnant l’élève dans sa découverte de l’écoute et du regard. Les auditions de classes et les Moments musicaux peuvent ainsi devenir un moment privilégié de formation du spectateur.

Les spectacles du conservatoire

Il est arrivé que certains spectacles du conservatoire aient une durée trop importante, notamment pour de jeunes spectateurs. La durée des programmes doit être raisonnable : nous y veillerons avec une vigilance accrue. Une fâcheuse habitude de commencer avec un délai d’une dizaine de minutes, parfois davantage, pour attendre le public retardataire, pénalise ceux qui arrivent en avance. Nous allons faire en sorte que les spectacles commencent à l’heure ; après le début, il ne sera possible d’entrer dans la salle qu’entre les morceaux.
Les salles où les élèves se produisent imposent des contraintes que nous devons prendre en compte. Les déplacements de la coulisse à la salle et vice-versa doivent être réglés comme le reste du concert. Pour éviter les allées et venues qui nuisent aux conditions d’écoute, les élèves qui viennent de jouer rejoignent des places qui leur sont réservées (et non pas leurs parents) à un moment programmé après une pause éventuelle pour laisser la tension de la concentration s’estomper ; les instruments restent en coulisse jusqu’à la fin, car on ne part pas au milieu d’un concert. Nous devons également veiller avec la même rigueur sur les entrées et sorties de salle pendant les examens !
L’organisation doit être rigoureuse et cohérente, et prévoir un encadrement sans faille des élèves avec des répétitions en nombre suffisant. Indépendamment des concerts, des visites des deux salles de spectacle (L’Avant-Scène à Grand Couronne et Le Sillon à Petit Couronne), seront organisées en partenariat avec les services culturels et les régisseurs des salles. Les élèves pourront ainsi mieux comprendre les aspects techniques et les contraintes qui en découlent. Pour assurer l’audience la plus large à nos spectacles, nous rechercherons les moyens d’améliorer encore la communication, et surtout de susciter la curiosité et l’envie de nos élèves.

Pédagogie

Les différents professeurs d’un élève échangent souvent leurs points de vue pour lui apporter un enseignement adapté : à cette occasion, ils doivent se préoccuper également des questions liées à l’élève spectateur. Nous pouvons profiter des auditions au cadre moins formel pour promulguer un discours pédagogique destiné au spectateur. L’emploi du temps des CHAM peut nous permettre d’organiser des « mini-concerts », courts instants d’initiation au concert pour les élèves d’une classe qui viennent écouter quelques élèves d’une discipline donnée au moment de leur cours d’instrument.
Parmi les éléments jusqu’à présent négligés qu’il nous faut intégrer à l’apprentissage, l’un des plus difficiles se résume en une courte devise : savoir dire pourquoi on aime ou non. Cela implique de posséder un vocabulaire précis et une culture permettant des comparaisons efficaces pour une critique constructive : nous nous efforcerons d’en nourrir nos élèves. Bien qu’amener les élèves au spectacle constitue à présent un objectif majeur du conservatoire, l’équipe pédagogique a choisi de rester sur une formule incitative, contrairement à ce qui se pratique parfois dans d’autres établissements. La présence au spectacle n’aura donc pas de caractère obligatoire, sauf s’il a lieu à la place d’un cours ; il sera toutefois demandé aux élèves de faire part à intervalles réguliers de leur expérience de spectateur.
L’offre de spectacles dans la région est abondante et variée : les professeurs feront en sorte que leurs élèves ne manquent pas une prestation majeure, en leur donnant des clés pour se repérer dans la programmation. Différente de la présence physique au concert, mais également essentielle, l’écoute d’enregistrements est un aspect à ne pas négliger. La présence des médiathèques sur les deux communes est un atout sur lequel nous nous appuierons pour éveiller la curiosité des élèves. Les professeurs aideront les élèves à se repérer dans les catalogues discographiques.

IV – L’évaluation

Le Conseil Pédagogique est chargé de réaliser l’évaluation de ce projet. Il définira les outils et le niveau de précision attendu selon les critères retenus. L’évaluation portera notamment sur les points suivants :
– Recensement du nombre d’élèves spectateurs sous forme d’estimations portant sur certains spectacles référencés dans la saison ;
– Analyse de l’attitude et du comportement du public et des élèves, notamment pour les manifestations à forte fréquentation ;
– Recensement du nombre d’élèves participant aux sorties proposées.
Le conseil pédagogique dressera un bilan régulier et analysera les évolutions dans la durée.

Conclusion

Ce projet s’inscrit intégralement dans notre mission d’enseignement artistique. Pour que son aboutissement soit à la hauteur de l’ambition qui le motive, il doit être mis en oeuvre avec la collaboration de tous les acteurs concernés : les institutions partenaires, les professeurs, les élèves et leurs parents. L’effort requis n’est-il pas dérisoire au regard de l’enjeu ?

Projet pédagogique
validé par le Conseil pédagogique
le 15 novembre 2007
mis à jour le 3 octobre 2023.